La philanthropie des milléniaux pourrait changer la finance à jamais

By Gillian Tett | mai 06, 2021

Qu’est-ce qui se passe avec ces étranges milléniaux? Voilà un sentiment que beaucoup de personnes d’âge moyen comme moi ont pu murmurer sur leur lieu de travail lorsqu’elles ont été confrontées aux attitudes différentes qu’ont certaines des personnes nées entre 1981 et 1996 vis-à-vis des carrières et des hiérarchies.

Et l’incompréhension, ou l’irritation, est souvent réciproque : de nombreux milléniaux sont en colère contre les gâchis économiques et environnementaux créés par les cohortes plus anciennes, comme la génération X (1965-80) ou les baby-boomers (1946-64).

Mais parmi tous ces reproches, il y a un aspect négligé qui mérite réflexion : la façon dont les différences générationnelles affectent actuellement la finance. Les milléniaux semblent avoir des attitudes subtilement différentes de celles de leurs aînés vis-à-vis de l’argent. Cette distinction pourrait avoir des conséquences importantes pour la finance à l’avenir, même si le système est actuellement entre les mains de la génération X et des baby-boomers.

Ce problème est mis en évidence dans une enquête réalisée par Fidelity, le gestionnaire d’actifs. Le groupe basé à Boston interroge souvent ses clients sur leur philanthropie. Cette année, il a réalisé une enquête exhaustive auprès de 4 000 personnes ayant donné au moins 1 000 dollars à des œuvres de bienfaisance l’année dernière, et a disséqué les réponses par âge.

Il en ressort que 35 % des baby-boomers de ce groupe se définissaient comme des « philanthropes », chiffre qui grimpait à 48 % pour la cohorte de la génération X. Parmi les milléniaux, 74 % ont utilisé cette étiquette. Oui, sans blague. 

Il est toutefois moins surprenant de constater que les milléniaux sont beaucoup plus influencés par la technologie que leurs aînés. Ils prennent souvent des décisions philanthropiques à la suite de campagnes sur les médias sociaux, et utilisent pour cela des plateformes numériques. Plus important encore, les milléniaux veulent également associer la philanthropie à d’autres choix financiers, de consommation et de carrière, plutôt que de la traiter à part. 

Par conséquent, 87 % des milléniaux souhaitent travailler pour une entreprise qui est socialement responsable. Soixante-cinq pour cent n’achètent qu’auprès d’entreprises responsables et 43 % s’engagent dans l’investissement à impact. Ce chiffre est bien plus élevé que celui de leurs aînés; un maigre 12 % des baby-boomers participent à l’investissement à impact. « On ne parle plus tant de don caritatif que de vie caritative », déclare Pamela Norley, présidente de Fidelity Charitable, qui décrit cette évolution comme « un état d’esprit entièrement nouveau ».

Or, une enquête seule ne constitue pas une tendance. Et le sondage de Fidelity ne concerne que les personnes suffisamment riches pour faire des dons, une minorité chanceuse dans un pays où quatre adultes sur dix n’ont même pas 400 dollars d’économies.

Il demeure que de nombreux autres sondages reflètent un changement d’état d’esprit similaire. Une enquête réalisée en 2019 par Morgan Stanley a montré que 95 % des milléniaux soutenaient l’investissement durable, comparativement à 85 % pour l’ensemble des investisseurs. Une étude réalisée par Allianz a révélé que 64 % des milléniaux prenaient leurs décisions d’investissement en fonction de valeurs, contre 42 % des baby-boomers. Un rapport de la US Trust indique que 76 % des milléniaux tiennent compte de l’impact lorsqu’ils investissent, alors que 29 % des baby-boomers en tiennent compte, une tendance qualifiée de « choc des générations » dans les attitudes.

D’une certaine manière, cela peut sembler étrange. La génération du millénaire dans son ensemble est confrontée à des niveaux d’insécurité économique bien plus élevés qu’auparavant, qui ont par ailleurs été exacerbés par la COVID-19. La théorie économique classique pourrait donc suggérer que les milléniaux seraient encore plus soucieux que leurs parents de rechercher la maximisation de la richesse.

En effet, ces résultats sont tellement contre-intuitifs que je soupçonne certains membres de la génération X et du baby-boom d’être tentés de ne voir dans ces résultats que le reflet de l’idéalisme, ou de la culpabilité, des jeunes les plus riches. Après tout, comme l’aurait supposément déclaré Winston Churchill (bien que la source ne soit pas claire) : « Si un homme n’est pas socialiste à l’âge de 20 ans, il n’a pas de cœur. S’il n’est pas conservateur à 40 ans, il n’a pas de cerveau. »

Et comme les milléniaux ne possèdent qu’une petite partie de la richesse américaine (environ 4,5 %, selon la Réserve fédérale), il peut sembler doublement tentant de se moquer.

Mais cela pourrait être une erreur. Au cours des prochaines décennies, plusieurs billions de dollars passeront d’une génération à l’autre à mesure que les aînés s’éteindront. Accenture estime que ces flux représenteront 30 billions de dollars. D’autres avancent des sommes encore plus importantes; les analystes de Cerulli suggèrent de leur côté 68 billions de dollars.

Cela risque d’exacerber les inégalités entre les milléniaux qui ont la chance d’avoir des familles riches et ceux qui n’en ont pas. La culpabilité pourrait également disparaître, ainsi que l’anxiété liée aux réactions sociales. Mais si les milléniaux fortunés conservent leurs attitudes actuelles, cela pourrait accélérer le passage à l’investissement basé sur la valeur. Cela pourrait également accélérer la tendance à utiliser les plateformes numériques pour forcer les entreprises à être plus transparentes.

Les gestionnaires de patrimoine avisés comprennent ces chiffres. C’est pourquoi le secteur financier s’efforce de développer ses produits environnementaux, sociaux et de gouvernance : la durabilité est un argument marketing crucial si vous voulez cibler ces futurs flux de plus de 30 billions de dollars. C’est une autre raison pour laquelle certains membres de la génération X et certains baby-boomers roulent des yeux.

Cependant, il y a un autre point à considérer : ce changement d’attitude suggère que les milléniaux ont une vision moins étroite lorsqu’ils parlent de « finance », de « politique » et de « questions sociales ». Leur conception de l’économie est plutôt interconnectée, notamment parce qu’ils ne considèrent pas une question comme l’environnement comme une simple « externalité » d’un modèle économique, comme c’était le cas au XXe siècle. C’est là une autre raison de l’incompréhension entre les générations. Et, peut-être, une source d’espoir.

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