La fête est-elle terminée pour les meilleures actions technologiques?

By Merryn Somerset Webb | février 12, 2021
man holding phone showing stock market

Inquiet d’être un « no-coiner », comme ces milliards de personnes dans le monde méprisées par les partisans du bitcoin parce qu’elles ne détiennent aucune cryptomonnaie?

Si oui, j’ai de bonnes nouvelles pour vous. Vous n’avez plus besoin de vous inquiéter. Vous n’êtes probablement pas un « no-coiner ». En fait, vous êtes sans doute même un « hodler », terme qui, dans le jargon de la cryptomonnaie, désigne quelqu’un comme moi, qui détient des bitcoins à très long terme.

Par quel prodigieux miracle cela vous est-il arrivé? Par toute exposition passive (et active) que vous pourriez avoir au marché boursier américain. Imaginons que vous ayez investi dans le fonds iShares Core S&P 500 ETF. Son sixième plus grand titre est Tesla (1,84 % du portefeuille).

Tesla, dont je détiens moi-même des actions, a déclaré avoir investi 1,5 milliard de dollars dans le bitcoin le mois dernier. Cela fait de vous un « hodler ». Il en va de même pour pratiquement tous les FNB du marché américain. Tesla figure également au sixième rang du Vanguard Total Stock Market Index Fund, par exemple.

Je ne vous ai peut-être pas rassuré. Peut-être n’investissez-vous pas selon une approche nationale, mais préférez-vous l’international avec vos FNB. J’ai d’autres bonnes nouvelles. Vous n’avez rien raté. Il est fort à parier que ces FNB détiennent également des actions Tesla. C’est le cinquième titre du IShares MSCI World ETF, 1,12 % du fonds. Vous aussi êtes un « hodler ».

J’attire votre attention sur ce fait non seulement parce qu’il est quelque peu ironique que le « no-coiner » ait quasiment disparu du monde des investisseurs, mais parce que cela met en relief un éventuel problème : la surexposition des investisseurs mondiaux au marché américain et, par conséquent, à une poignée de géants technologiques.

Si vous détenez des parts dans le fonds iShares Core S&P 500 ETF que je mentionnais plus haut, 23,9 % de votre argent réside dans six actions : Apple, Microsoft, Amazon, Facebook, Tesla et la société mère de Google, Alphabet. Prenez un FNB mondial, disons MSCI World ETF, investi à 60 % aux États-Unis, et les six premiers titres seront exactement les mêmes. Ils constituent 15 % du fonds.

C’est complètement logique à bien des égards. Face à la faible croissance qui a marqué les dernières années, la croissance qu’offrent ces sociétés (en particulier avec le vent arrière de la pandémie) a bien évidemment été très profitable et s’est reflétée dans la valeur du cours.

Les investisseurs n’ont pas vraiment eu à se plaindre. Il n’empêche qu’il est peut-être temps de faire le point. Si vous êtes un investisseur mondial, êtes-vous prêt à investir 60 % de votre argent aux États-Unis et 15 % dans six sociétés technologiques?

Pour répondre à cette question, il faudrait étudier l’évolution des titres les plus en vue des dernières décennies. Le meilleur point de comparaison serait probablement 1970, lorsque, selon des données de Schroders, les cinq actions présentant la plus forte capitalisation boursière étaient IBM, AT&T, General Motors, Eastman Kodak et Exxon.

Ces sociétés représentaient 24 % de l’indice S&P 500. En 1980, quatre étaient encore en lice (Kodak ayant été remplacée par Amoco), mais les cinq nouveaux meilleurs titres ne pesaient plus que 17 % dans l’indice. En 1990, ils ne représentaient plus que 13 % de l’indice, et seules IBM et AT&T y figuraient encore. En 2010, cette part s’est réduite à 11 %, les cinq titres de départ ayant depuis longtemps disparu.

Mais c’est alors que les grandes sociétés technologiques ont vraiment décollé et les cinq meilleures d’entre elles se sont hissées au sommet du marché. Aujourd’hui, elles représentent 22 % de l’indice et c’est à elles que l’on doit pratiquement toute la surperformance de ces dernières années.

Effacez-les du tableau et l’an dernier, les marchés émergents et le Japon ont surpassé les États-Unis. Alors, la décennie 2020 pourrait-elle vraiment être la décennie qui ne connaîtra pas de perturbation? Celle où les meilleurs titres sont tellement brillants qu’ils ne décrochent pas du palmarès?

C’est peu probable. Regardez les valorisations. Nous nous sommes tous plus ou moins faits à l’idée que, grâce à ses brillantes actions technologiques, le marché américain se négocie à un prix supérieur, et qu’ayant été le plus performant au monde sur huit de ces dix dernières années, ce marché mérite quelque part de conserver sa place dominante.

Mais l’écart entre les États-Unis et le reste du monde n’a jamais été aussi grand. Le ratio cours/bénéfice corrigé des variations cycliques pour les actions américaines est de 35, contre 21 pour l’Europe et 14 pour le Royaume-Uni, par exemple. Selon Duncan Lamont, pour que le ratio retrouve ses niveaux historiques, il faudrait que le rendement aux États-Unis diminue de 5 % par an pendant une décennie.

Cela dit, les valorisations vous en disent très peu sur ce qui se passera sur les marchés à court terme (si elles envoyaient des signaux fiables aux investisseurs, le cours des actions des grandes sociétés technologiques se serait effondré il y a longtemps après une liquidation massive).

Alors, qu’est-ce qui pourrait changer la donne et provoquer un revirement? Les vaccins sont le premier facteur. À mesure que le monde émerge de ses diverses mises sur pause de l’économie, les actions des sociétés cycliques en profiteront. Ces sociétés ne sont pas nombreuses aux États-Unis : elles représentent environ 35 % du marché contre plus de 55 % au Royaume-Uni et au Japon.

L’investissement passif n’existe pas. Investissez dans un FNB mondial et vous aurez sciemment décidé de lier votre avenir financier aux États-Unis et donc aux grandes sociétés technologiques

-- Merryn Somerset Webb

Le retour de la liberté de circuler en Occident sera donc beaucoup plus profitable aux marchés hors États-Unis qu’aux marchés américains très centrés sur les sociétés technologiques.

La levée du brouillard politique aux États-Unis pourrait avoir le même effet. L’administration Biden risque de s’intéresser sous peu à la fiscalité des sociétés, ce qui aura des répercussions sur les bénéfices des sociétés américaines par rapport à d’autres sociétés situées ailleurs dans le monde.

Enfin, il faut souligner que les gouvernements ont appris quelque chose au sujet du pouvoir l’an dernier. Depuis des années, la question du contrôle de l’État sur les entreprises est au cœur du débat sur les grandes sociétés technologiques.

Ce que la pandémie nous a rappelé, c’est qu’au bout du compte, l’État est souverain. Qui aurait cru, il y a un an, que les pays démocratiques modernes pouvaient et allaient obliger leurs citoyens à rester, non seulement à l’intérieur de leurs frontières, mais à l’intérieur de leurs maisons? Le pouvoir, le voilà. Et s’ils peuvent le faire en toute impunité, qu’est-ce qu’un impôt sur les bénéfices exceptionnels pour les sociétés qui ont profité de la pandémie ou un règlement qui musèle les médias sociaux?

Regardez avec quel aplomb l’Australie s’est attaquée à Google, en demandant à ce que les géants technologiques commencent à payer les organes d’information locaux en contrepartie des liens vers leurs articles.

Un point essentiel dans tout cela est que l’investissement passif n’existe pas. Investissez dans un FNB mondial et vous aurez sciemment décidé de lier votre avenir financier aux États-Unis et donc aux grandes sociétés technologiques. Il se pourrait que tout se passe bien. C’est d’ailleurs peut-être une volonté de votre part. Mais si vous refusez de réfléchir à la répartition des actifs à l’intérieur de ce que vous considérez comme une stratégie passive, vous pourriez ne pas être un « hodler » tout à fait satisfait en 2030.

Merryn Somerset Webb est rédactrice en chef de MoneyWeek. Les avis sont personnels.

Financial Times logo

© The Financial Times Limited 2021. Tous droits réservés.
Veuillez ne pas copier-coller les articles du FT pour les distribuer par courriel ou les publier sur le Web.